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CONTEXTE QUESTIONS A SANDRA ABERKALNS |
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Sandra, sur quels projets avez-vous travaillé en 2001? Pour moi, les projets s'imbriquent souvent. J'ai rarement le luxe de pouvoir terminer un projet avant d'en commencer un autre. 2001 n'a pas été une exception. L'an dernier j'ai fini la partition finale de Quintet d'Alvin Ailey, que j'avais commencé de noter en 2000. J'ai été en répétitions pour noter deux pièces: Beginnings de Choo-San Goh, remontée pour Dance Galaxy, une compagnie classique de New York, et Dances at a Gathering de Jerome Robbins, remontée au San Franciso Ballet. Parmi mes autres activités j'ai été conseillère [coach] pour la reprise de Soaring de Doris Humphrey à l'Université de Oklahoma, professeur invitée au Barnard College, à New York. J'ai également écrit plusieurs articles sur la danse et la notation. |
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Avant la remise d'une partition finale au Dance Notation Bureau, vous procédez par étapes. Pouvez-vous nous les décrire? Avant que les répétitions ne commencent, je cherche des informations sur le chorégraphe ou sur la pièce. Je cherche des vidéos, des critiques, des articles, des photos... En général, mon premier lieu de recherche est la Performing Arts Library (bibliothèque des arts du spectacle) au Lincoln Center. Puis je vais au Dance Notation Bureau voir si des pièces de ce chorégraphe ont été notées. Internet m'est également utile pour repérer des documents qui ne seraient ni à la Performing Arts Library ni au DNB. Si la pièce s'appuie sur une musique écrite ou un enregistrement je préfère les trouver avant d'aller en répétition. C'est parfois simple de trouver la partition musicale, mais comment savoir quelle version choisir parmi quinze disponibles? Parfois la partition est à la Performing Arts Library mais pour en faire une copie il faut demander une autorisation à l'éditeur. Il se peut qu'une partition - ou un enregistrement - existe, mais soit introuvable. Dans ce cas, j'espère que la compagnie pourra m'en donner une copie. Si la musique n'est pas publiée, je n'ai pas de chance. Les périodes de répétition sont en général intenses. Sur une période courte un chorégraphe ou répétiteur transmet beaucoup d'informations et les danseurs sont occupés à apprendre une chorégraphie, des mouvements, un style, auquel ils ne sont pas forcément habitués. Le notateur doit transcrire le mouvement, décrire comment la chorégraphie s'articule avec la musique, dessiner les parcours au sol (les déplacements des danseurs sur scène), et écouter ce que le chorégraphe dit sur la danse (ce qui peut être des images, des émotions, des informations historiques). En fin de journée j'ai beaucoup d'informations, mais mes notes sont brouillonnes. Les symboles de notation, les annotations verbales, les comptes chorégraphiques sont mélangés sur les pages. Un enchaînement de 24 comptes chorégraphiques peut être éparpillé sur 6 pages. Les mouvements d'un soliste peuvent être sur un bloc-notes, et ceux du corps de ballet sur un autre. Donc, chaque jour après les répétitions je crée la première esquisse de partition. Cette première étape est très importante, c'est la base pour la suite du processus de notation. La première chose consiste à vérifier comment les danseurs phrasent le mouvement (phrasent-ils 24 comptes en 3 séquences de 8? Ou en 6, 12, 6?). Le phrasé détermine comment je vais maquetter chaque page. Après avoir compris le phrasé, j'organise mon matériel: je dessine les portées et mets les signes de notation, je groupe toutes mes annotations verbales, je dessine les plans au sol. Les informations de mes différents calepins sont ainsi réorganisées. Je dois pouvoir identifier clairement quelles informations j'ai, et quelles informations me manquent, à quels moments je suis sûre de mes informations et à quels moments j'ai des doutes. Si j'ai une partition musicale, j'y reporte les comptes chorégraphiques. Bien souvent je m'aperçois alors qu'il me manque une phrase entière de mouvement. Lors d'une répétition suivante il me sera facile de repérer cette phrase et de l'insérer dans ma partition de travail. Avoir une partition de travail lisible est primordial, car il m'est rarement possible de travailler sur la partition finale immédiatement après les périodes de répétitions. Une fois les répétitions terminées le notateur commence à produire la partition finale. La partition de travail est à usage du notateur, la partition finale est écrite pour un lecteur. La mise en page est très importante dans la partition finale. Le transfert au propre du mouvement (de mes blocs-notes au format quadrillé standard de la notation) peut changer le nombre de comptes écrits par page. Si une phrase de mouvement ne peut tenir sur la page, où faire la césure? Les portées des danseurs sont-elles dans l'ordre le plus logique? Une annotation verbale doit-elle être à côté de la notation, ou doit-elle être incluse dans les notes introductives? Quelle est la meilleure disposition pour les plans au sol groupés sous les portées, ou sur le côté en correspondance avec les phrases chorégraphiques? L'analyse du mouvement doit être examinée en détail. Le degré de tour inscrit correspond-il à l'orientation finale du danseur? Le danseur marche-t-il deux fois avec la même jambe? Les points de contacts entre deux danseurs sont-ils exacts? Le notateur compte sur son instinct lorsqu'il prend des notes en studio, mais il doit ensuite évaluer objectivement les choix qu'il a faits. Dans Dances at a Gathering les seules indications données aux danseurs pour des penchés sur le coté étaient de "pencher beaucoup". Le choix d'analyse que j'en ai fait par instinct était juste, cependant il y avait deux autres possibilités d'écrire le mouvement. Avant de faire la transcription finale, j'ai à nouveau réfléchi à la meilleure manière de décrire l'action. Dernière étape du travail: rédiger l'introduction de la partition. Cette partie de la partition, qui précède la notation proprement dite, est une ressource importante sur la pièce, un document historique en soi. La rubrique "informations sur le style" décrit le style, la qualité et l'intention dramatique de la danse. La rubrique "musique" donne des informations sur la discographie et la partition musicale. Selon la complexité de la pièce l'introduction peut comprendre les rubriques suivantes: livret, biographie, distribution (distribution originale et/ou distribution de la version notée), éléments pour auditionner les danseurs, notes historiques, musique, style, costumes, lumières, décors, accessoires, ressources photos et vidéos, indications pour le remontage de la pièce, glossaire. |
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Mon enjeu était de signaler visuellement au lecteur quels moments
de la partition étaient une "tâche", une directive
du chorégraphe, un mouvement ouvert à une interprétation
différente de son écriture. La couleur était une
solution.
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Pour cette même partition vous avez joint à votre partition finale un document multimédia. Quel est pour vous la complémentarité entre les différents moyens pour documenter la danse? Toutes les nouvelles technologies sont passionnantes: cédéroms, photographie et vidéo numériques, programmes créant des images 3D, capture du mouvement. Les documents multimédias enrichissent la préservation et à la documentation de la danse, cependant ces technologies ne sont que des instruments. Ce cédérom sur Forsythe a pu être fait car nous avons pu collecter des documents complémentaires pendant la notation de la pièce. Les archives du DNB - depuis 60 ans, ne conservent pas seulement des partitions notées, mais une grande diversité de documents. Le notateur peut joindre à sa partition des photographies, des croquis de costumes, des échantillons de tissu, des accessoires, des plans de décor ou conduites lumières, des partitions musicales, des enregistrements audio, des articles, des critiques, des correspondances. L'objectif est de préserver toute la danse et pas seulement les mouvements. Depuis plusieurs années le DNB travaille à la création d'une base de données qui mettrait en relation partition notée, musique - partition et enregistrement, vidéo, photographies, informations pour la production, documents d'histoire orale, etc. La base de données conçue par le DNB sera complète, mais flexible. Chaque partition est unique et les informations utiles pour une pièce ne le sont pas forcément pour une autre. |
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Un autre aspect de votre activité consiste à remonter des pièces d'après partitions. Vous êtes d'ailleurs venue en France pour remonter une chorégraphie de Paul Taylor pour l'Opéra de Paris, et pour remonter une chorégraphie de Hanya Holm pour les danseurs du CNSMDP. Comment définissez-vous ce rôle? En remontant une pièce à partir d'une partition, j'ai un lien unique avec l'uvre. Une partition permet une compréhension de la pièce différente de ce qu'offrent des descriptions, des vidéos ou films, des photographies, ou une expérience personnelle. J'utilise pour apprendre la chorégraphie un moyen particulier, la partition, mais une fois dans le studio mon objectif est celui de toute personne amenée à remonter une pièce: une production réussie. Les responsabilités du reconstructeur diffèrent selon les contextes. Si un conseiller artistique (coach) intervient en répétitions, le reconstructeur doit juste mettre en place la chorégraphie. Mais bien souvent, le reconstructeur assumera les deux rôles: mise en place et direction artistique. À l'Opéra de Paris, nous étions trois reconstructeurs (Christopher Gillis, Cathy McCann et moi-même) et n'étions pas en charge de la production technique. Le directeur technique de la compagnie Taylor est venu régler les lumières et conseiller pour la réalisation des accessoires et des décors. Le costumier, Santo Loquasto, est venu superviser la fabrication des costumes. Au CNSMDP lorsque j'ai remonté Jocose d'Hanya Holm j'ai remonté la pièce et ai travaillé avec l'équipe technique interne sur la production scénique. |
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Entretien fait par e-mail, mars 2002, par Marion Bastien |
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