notation du mouvement
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CONTEXTE QUESTIONS A DANY LÉVÊQUE
 
Dany Lévêque, choréologue de la compagnie Preljocaj, a noté la majorité de ses ballets et les remonte régulièrement à travers le monde.
 
Quand et pourquoi avez-vous décidé d’apprendre la notation Benesh?

En 1988, je travaillais alors à l'Institut de Pédagogie Musicale et Chorégraphique, mon travail n'était pas passionnant, et je me suis dit pourquoi ne pas faire de la notation du mouvement ? Donc j'ai fait la démarche pour partir étudier à Londres.

Qu’est ce que cela vous a-t-il apporté?
Beaucoup de choses. Un sens de l'observation que je pense est plus développé qu'à mes débuts. Une analyse des mouvements que je fais plus rapidement. Un grand plaisir d'écrire une partition et de tout consigner dedans. Des angoisses de toujours me dire est-ce que ce que je fais est juste?
Pendant les périodes d'écriture, une immense solitude, qui est à l'opposé de l'effervescence de la période de création souvent assez mouvementée vers la fin.
Le plaisir de voir des superbes danseurs dans toutes les étapes du travail, aussi bien au Ballet Preljocaj qu'à l'Opéra de Paris.
J'ai pu aussi grâce à la notation remonter des pièces d'Angelin Preljocaj dans de nombreuses compagnies, et aussi faire beaucoup de tournée avec le Ballet Preljocaj.
 
Comment avez-vous été amenée à noter les ballets d’Angelin Preljocaj?

J'étais rentrée de Londres et je cherchais du travail. J'ai appris par une amie que la notatrice d'Angelin Preljocaj, Noémie Perlov quittait la compagnie. J'ai donc téléphoné et le même jour j'ai reçu une lettre de la part de l'Institut Benesh de Londres, me disant que la Compagnie Preljocaj cherchait une notatrice. Angelin a convoqué plusieurs notatrices, deux anglaises (je crois) et moi. Nous sommes passés des jours différents. En arrivant il m'a donné une page de notation sur laquelle étaient transcrite deux phrases chorégraphiques. Il m'a alors installé dans une pièce pour étudier. Puis quand j'ai pensé être prête, je suis retournée dans le studio et j'ai enseigné aux danseurs qui étaient là. Quelques jours après il m'a engagé.
 


Dany, voici plus de 10 ans Angelin Preljocaj vous engageait en tant que notatrice-répétitrice. Quel est votre rôle au sein de la compagnie?

La compagnie a beaucoup changé depuis que je suis rentrée, quand je suis arrivée en 1992 il y avait 13 danseurs. Je faisais surtout de la notation. J'ai été d'abord engagée pour noter La Peau du Monde, puis l'année suivante fut l'année de la création de l'hommage aux Ballets Russes. Les Noces existaient déjà, et Noémie Perlov en avait noté la majorité de la chorégraphie. J'ai noté le Spectre de la Rose et Parade qui étaient des créations. Il y avait à cette époque presque toujours avec moi un ou une autre assistant(e) qui s'occupait justement des Noces, de Larmes Blanches et de Trait d'Union, toujours au répertoire. Très vite nous avons quitté la région parisienne pour nous installer à Châteauvallon, où la compagnie est devenue le Ballet Preljocaj, Angelin a engagé 7 nouveaux danseurs et à partir de cette période nous avons eu au moins deux distributions pour chaque pièce. Il y avait un autre assistant-choréologue (Karl Burnett), le rythme des tournées s'est beaucoup amplifié. Je suis donc partie très souvent avec la compagnie, et je faisais les répétitions, les plannings des journées.
J'ai aussi remonté au sein de la compagnie, la pièce Liqueurs de Chair, qui avait été notée par Noémie Perlov, et j'ai utilisé sa partition pour l'essentiel. Silvia Bidegain et Florence Vitrac qui avaient dansé cette pièce étaient venues pour donner quelques conseils. Angelin avait bien sur fait les dernières répétitions sur scène. Mais toute la base avait été reprise d'après la partition ce qui fut un énorme travail.

 

Est-il vraiment possible d’assumer cette double fonction de notatrice-répétitrice ? Avez-vous suffisamment de temps pour compléter les notes prises au cours de la création et produire une partition de référence (ou "master score")?

Non, il est impossible de faire les répétitions, les taches d'assistant et de faire des partitions de références, donc j'ai accumulé des tonnes de brouillon, et de mise à jour... Je n'ai réussi à finir qu'un master pendant cette période, celui de l'Annonciation, mais je le retravaille afin de le rendre le plus précis possible, grâce entre autres aux indications données par Angelin lors des nombreuses reprises de rôles.

En quoi la partition de référence est-elle importante?
La partition de référence qui demande beaucoup de travail permet de conserver l'ensemble de l'œuvre et est une véritable mine d'informations. L’introduction présente la genèse du ballet, date et lieu de la création, les noms de tous les interprètes, les costumes et décors ainsi qu’une étude du style spécifique à la pièce.
Quant à la notation, c’est beaucoup plus que le squelette de la chorégraphie : les informations données par le chorégraphe en cour de création sont précieusement enregistrées et les mouvements sont analysés jusque dans les détails afin de faire ressortir l’essence de la chorégraphie.
La différence entre la partition de référence et le brouillon est dans l'universalité de l'écriture, sa précision et sa qualité au niveau théorique.
Un brouillon, on l'écrit en studio, on note en Benesh certes, mais avec les images qui vous viennent, on transcrit au plus vite et la théorie n'est pas forcément exacte. L'importance du master est que la théorie soit respectée dans les règles de l'art, afin qu'une personne initiée et attentive puisse retrouver exactement ce qu'était le mouvement, et comprenne ce que le notateur a voulu écrire, le plus simplement possible. D'où un questionnement permanent au cours de l'écriture: une personne qui ne connaît pas du tout cette pièce va-t-elle comprendre ce que j'ai voulu dire?
Communiquer une chorégraphie, c'est complexe mais oh combien précieux.

A quoi sert la notation au quotidien dans une répétition?
Par chance Angelin croit dans la notation, et donc s'il y a un litige sur un compte, il demande ce que c'était à la base, ce qui ne l'empêche pas de changer, voir de rechanger, j'essaye de noter la dernière version, mais il faut aussi garder l'originale, en cas de retour vers cette version!
 
Au cours de ces années, vous avez aussi remonté plusieurs de ses ballets. En quoi la partition vous aide-t-elle dans ces cas-là?

J'ai fait une dizaine de reprises avec des compagnies autres que le Ballet Preljocaj.
La partition est une référence, c'est pratique de la lire n'importe où en voyage pour réviser avant une répétition. Je sais de toute façon par cœur les pièces que j'ai à remonter mais c'est un support. Et dans chaque compagnie, les danseurs posent parfois des questions, je trouve la réponse dans la partition si j'ai un doute. Je précise des détails par rapport aux questions, ma partition s'améliore un peu à chaque fois. Mon rôle est assez simple, je dois apprendre la pièce en entier aux danseurs, et les amener sur scène, dans le style de Preljocaj, quelle que soit leur formation. C'est souvent l’aspect le plus difficile : la qualité du mouvement et la compréhension de l'interprétation. Et souvent en très peu de temps, car les grandes compagnies ont des plannings extrêmement juste pour avoir une bonne qualité.
 


Sur quels projets avez-vous travaillé récemment ?

Depuis maintenant un an j'ai arrêté les répétitions au Ballet Preljocaj, et je travaille uniquement sur les partitions que j'ai à terminer, c’est-à-dire que je note tout le répertoire d'Angelin (ou presque). Je fais aussi quelques reprises de pièces à l'étranger. Il me reste encore 3 ou 4 pièces à écrire ou à compléter. Mais dès le début de l'année prochaine Angelin va faire une nouvelle création que je vais noter.

Que devienne les partitions achevées?
Toutes les partitions que je termine sont au Ballet Preljocaj. Youri Van den Bosch, un assistant qui a étudié la notation Benesh se sert des partitions et y trouve l’aide nécessaire pour son travail de répétiteur.
Il y a des copies au Conservatoire de Paris dans la classe de notation. Ces copies ne sont utilisables que pour la pratique de la notation. Ainsi les étudiants apprennent le système d’écriture à travers des textes actuels, ce qui rend l’étude particulièrement attractive.
Les partitions vont aussi être déposées à l'Institut Benesh de Londres.

 
Entretien fait en octobre 2002, par Éliane Mirzabekiantz